Extrait du rapport de la Mission d’observation de l’élection présidentielle du 27 juin et du deuxième tour du 07 novembre 2010 de l’EISA.
[ …….. Une histoire marquée par l’absence d’élections compétitives.
La Guinée n’a pas une tradition d’organisation d’élections compétitives. Pendant cinquante ans, les régimes successifs de Sékou Touré et Lansana Conté se sont maintenus au pouvoir à travers un monopole du Président et du parti unique sur les institutions du pays.
Le référendum constitutionnel du 28 septembre 1958 est l’événement politique majeur de la Guinée ces cinquante dernières années. Il oppose deux visions diamétralement opposées de la poursuite des relations entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique noire. A travers un vote sans appel en faveur du « Non », à l’initiative de Sékou Touré, la Guinée devient le premier pays africain à s’affranchir de l’emprise de la tutelle coloniale française au moment où le début des années 1960 inaugure une vague d’indépendances des anciens territoires sous domination de la France.
L’approbation de la Constitution donnait aux pays africains leur autonomie dans le cadre de la « Communauté française » alors que son rejet obligeait la France à accorder immédiatement leur indépendance à ceux des pays qui ne désiraient pas intégrer la Communauté. La Guinée avait dit « Non » à la France à 95,22%.
Ce fut ensuite le temps des élections sans choix sous la présidence de Sékou Touré. Seul le Parti Démocratique de Guinée (PDG) participe à l’élection présidentielle de 1961. Sékou Touré est élu sans concurrent le 15 janvier 1961.
La domination de l’espace politique par le PDG se consolide plus de deux ans plus tard lors des élections législatives du 28 septembre 1963 et de celles du 1er janvier 1968. Le même jour, Sékou Touré est réélu sans concurrent Président de la Guinée. Le taux de participation de 99.7% traduit les capacités de mobilisation du régime et la nature du contrôle qu’il exerce sur la population. Le 27 décembre 1974, on assiste à une augmentation du nombre de sièges à l’Assemblée nationale qui passe de 75 à 150 sièges. Sékou est réélu Président.
En 1980, le PDG est encore seul en lice et remporte les 210 en compétition pour l’Assemblée nationale. Une nouvelle élection présidentielle a lieu le 9 mai 1982. Elle est remportée, une fois de plus, par Sékou Touré. Aucune opposition n’est tolérée.
La domination du PDG en tant que parti-État s’achève avec la mort de Sékou Touré en 1984. Son successeur Lansana Conté accède au pouvoir grâce à un coup d’État. Il faut attendre l’adoption de la Constitution de 1990 pour voir de formes limitées d’ouverture politique introduites dans le pays. Le régime est démilitarisé et le « Comité transitoire de redressement national » mis en place par Conté dès son accession au pouvoir s’ouvre aux civils. Même si la réforme de la Constitution permet l’organisation d’élections pluralistes le paysage politique guinéen ne reste pas moins sous la domination du parti présidentiel, le Parti de l’Unité et du Progrès (PUP). La présidentielle du 19 décembre 1993 et les élections législatives du 11 juin 1995 officialisent la domination de Lansana Conté sur les institutions du pays en dépit des irrégularités du processus électoral relevées notamment par ses adversaires politiques. Il remporte l’élection présidentielle du 14 décembre 1998. Alpha Condé, le principal opposant au régime, est arrêté et incarcéré. Alors que l’opposition décide de boycotter les législatives de 2002 le PUP obtient 75% des sièges à l’Assemblée. L’opposition boycotte la présidentielle de 21 décembre 2003 ouvrant la voie à un énième mandat contesté du Président sortant.
Auparavant, le référendum constitutionnel du 11 novembre 2011 fait passer le mandat présidentiel de cinq à sept ans tout en levant la limite d’âge de 70 ans imposé aux candidats par le Code Électoral. Le « OUI » l’emporte par 98,36% des voix contre 1,64% pour le « NON ».
Cinquante ans après, un climat politique plus favorable
L’organisation d’une élection présidentielle compétitive en 2010 en Guinée n’était pas acquise. Le 28 septembre 2009, les forces de sécurité ouvrent le feu sur des manifestants lors d’un rassemblement organisé par le Forum des Forces Vives (FFV), une coalition regroupant des partis politiques, des syndicats et des organisations de la société civile. Le FFV dénonce les conditions de préparation de l’élection présidentielle annoncée pour janvier 2010 et pour laquelle le capitaine Moussa Dadis Camara pourrait être candidat. La répression fait des centaines de morts. Une commission d’enquête des Nations-Unies établit les responsabilités de Moussa Dadis Camara et de son entourage dans ces massacres.
De façon inattendue, une nouvelle page de l’histoire politique de la Guinée s’ouvre à la suite de l’éloignement de Dadis Camara à la fois de la vie politique et du pays consécutivement à la tentative d’assassinat perpétré contre sa personne par son aide de camp le 3 décembre 2009. En effet, des négociations menées sous l’égide de Blaise Compaoré, Président du Burkina Faso, aboutissent à la signature d’un accord de sortie de crise en posant les bases d’une transition devant conduire à l’organisation d’élections ouvertes. Outre la mise en place d’un Conseil National de Transition (CNT), nouvel organe délibérant de la Guinée depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, la Déclaration de Ouagadougou prévoit la nomination d’un Premier Ministre issu des rangs du FFV. Une élection présidentielle doit être organisée dans un délai de 6 mois. Les membres du CNT, les militaires y compris le Président de la République et les membres du gouvernement, avec en tête le Premier ministre, ne peuvent y participer.
De fait, le contexte politique qui prévaut au moment de l’élection présidentielle du 27 juin 2010 est nouveau, à plusieurs titres :
- Pour la première fois de l’histoire du pays, l’opportunité est donnée aux citoyens de Guinée d’en finir avec la spirale des régimes autoritaires et des coups d’État plus ou moins sanglants qui ont marqué l’évolution du pays depuis l’indépendance. Le régime de Sékou Touré commence en 1958 et s’achève avec son décès en 1984. Loin de déboucher sur une transition démocratique, celui-ci est suivi par l’avènement au pouvoir du Général Lansana Conté et du Comité militaire de redressement national à la suite d’un coup d’État qui marque l’acte de naissance de la Guinée post-Sékou Touré. La mort de Lansana Conté, lui-même, le 22 décembre 1998, se traduit par une nouvelle prise du pouvoir par les militaires, cette-fois sous la conduite du Capitaine Moussa Dadis Camara, à la tête du Conseil National pour le Développement et la Démocratie (CNDD), avec les mêmes promesses non tenues de retour à l’ordre constitutionnel ;
- L’engagement des militaires, sous la conduite du Général de brigade Sékouba Konaté, à organiser des élections et à remettre le pouvoir aux civils ;
- L’absence de mots d’ordre de boycottage de l’élection par les principaux partis et leaders politiques du pays contrairement à la situation qui avait prévalu en 2002 et en 2003 lors des élections législatives et du referendum constitutionnel, notamment ; et
- La gestion inédite des élections par une Commission électorale indépendante
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Source: Electoral Institute for Sustainable Democracy in Africa – EISA